Sommaire
Une ambition forte pour répondre aux défis de l’innovation en Europe
L’Union européenne rassemble un marché unique de 450 millions de consommateurs et peut s’appuyer sur une main-d’œuvre hautement qualifiée. Pourtant, les startups européennes souffrent souvent d’un manque de capitaux en phase d’expansion et d’une fragmentation réglementaire entre États membres. Entre 2008 et 2021, près de 30 % des licornes européennes ont déplacé leur siège hors de l’UE et seules 8 % des scaleups mondiales avaient une base européenne. Pour inverser cette tendance, Bruxelles a conçu une stratégie structurée autour de cinq piliers, avec pour objectif de réduire les « vallées de la mort » qui freinent la transition de la recherche au marché et la montée en échelle des jeunes pousses.
1. Un cadre réglementaire favorable à l’innovation
La Commission européenne a identifié la fragmentation juridique entre les 27 États membres comme un frein majeur à la création et au développement des startups. Pour lever ces obstacles, la stratégie « Choose Europe to Start and Scale » propose plusieurs initiatives destinées à harmoniser les règles et à simplifier les démarches administratives.
Le « 28th Regime » : un régime sociétaire paneuropéen
Le « 28th Regime », prévu pour le premier trimestre 2026, constitue l’une des mesures phares de la stratégie. Il s’agit d’un régime juridique optionnel couvrant le droit des sociétés, le droit du travail, la fiscalité et les procédures d’insolvabilité. Concrètement, une startup pourra décider d’adopter ce régime unique pour se créer et opérer dans n’importe quel pays de l’UE, avec des règles identiques, quel que soit l’État membre. L’objectif est de réduire les coûts et la complexité liés aux démarches administratives et de permettre à une entreprise de s’enregistrer en moins de 48 heures, au lieu des semaines, voire des mois, nécessaires aujourd’hui dans certains pays.
Le « European Business Wallet » : une identité numérique pour chaque entreprise
Dès le quatrième trimestre 2025, tous les opérateurs économiques bénéficieront d’une identité numérique européenne, appelée « Business Wallet ». Cette « carte d’identité » numérique centralisera l’ensemble des informations légales (statuts, numéros d’enregistrement, documents fiscaux) et permettra de dématérialiser toutes les interactions administratives. Les entrepreneurs n’auront plus à gérer des interfaces différentes selon les pays ou les administrations : ils se connecteront à un guichet unique pour déposer leurs comptes, obtenir des autorisations ou déclarer leurs activités. Cette mesure vise à accélérer les formalités et à garantir une traçabilité transparente pour les autorités régionales et nationales.
L’« European Innovation Act » : clarifier les définitions et tester en sandbox
Pour éviter les divergences d’interprétation, l’« European Innovation Act », qui doit entrer en vigueur au premier trimestre 2026, définira de manière commune les notions de « startup », « scaleup » et « entreprise innovante ». Au-delà de ces définitions, l’Act instaurera des « regulatory sandboxes » transfrontalières, c’est-à-dire des environnements réglementaires contrôlés où les jeunes pousses pourront tester leurs innovations (dans la fintech, la santé, l’énergie, etc.) avant leur commercialisation. Un « Innovation Stress Test » volontaire sera également proposé pour détecter en amont les blocages réglementaires potentiels, permettant ainsi aux équipes de se préparer à des conditions de mise sur le marché plus sereines.
Allègement des charges réglementaires dans les secteurs stratégiques
Parallèlement, la Commission prévoit dès 2025 une série de mesures pour alléger les contraintes dans des domaines jugés cruciaux pour l’avenir de l’économie européenne : biotechnologies, santé, défense, énergie propre et technologies numériques. Des propositions législatives et des recommandations non contraignantes pour les États membres viseront à raccourcir les délais d’autorisation et à simplifier les procédures de certification. Il s’agit de réduire la charge administrative pour les startups actives dans ces secteurs, souvent dissuadées par des étapes de validation longues et coûteuses.
Révision du processus de normalisation
Enfin, au deuxième trimestre 2026, la révision du règlement sur la normalisation permettra d’accélérer l’élaboration et la publication des normes techniques européennes. Les PME et les startups seront encouragées à participer aux comités de normalisation, ce qui favorisera une meilleure prise en compte de leurs besoins et de leurs contraintes. En raccourcissant les délais de mise en œuvre, l’UE espère rendre la normalisation plus agile et plus adaptée aux réalités du terrain.
2. Meilleure disponibilité des financements
Le manque de capitaux en phase de croissance constitue l’un des principaux points faibles de l’écosystème entrepreneurial européen. Pour y remédier, la stratégie s’appuie sur une combinaison d’instruments publics et privés destinés à élargir l’offre de financement disponible pour les startups et les scaleups.
Renforcement du European Innovation Council (EIC)
Dès 2025, le budget de l’EIC sera considérablement augmenté pour soutenir davantage de projets deep tech. Chaque projet pourra recevoir jusqu’à 30 millions d’euros, contre environ 17 millions aujourd’hui pour la tranche la plus élevée. L’objectif est de favoriser la maturation des technologies de rupture dans des domaines stratégiques (intelligence artificielle, biotechnologies, énergie propre), afin de limiter la fuite des compétences et des idées vers d’autres régions du monde.
Création du « Scale-up Europe Fund »
L’un des points centraux de la feuille de route est le lancement, en 2026, du « Scale-up Europe Fund ». Il s’agira d’un véhicule public-privé doté d’un budget initial de plus de 10 milliards d’euros. L’instrument combinera des apports publics et des capitaux privés pour investir directement dans des entreprises européennes en phase d’expansion (séries B, C, D…). Le fonds ciblera en priorité les scaleups considérées comme stratégiques pour la souveraineté technologique de l’UE et offrira des conditions comparables à celles d’investisseurs internationaux.
Mobilisation via InvestEU et l’EIC Fund
Parallèlement, la Commission utilisera la plateforme InvestEU, lancée en 2021, pour attirer les investisseurs institutionnels (fonds de pension, compagnies d’assurance) en leur offrant des garanties publiques allégeant le risque perçu. L’EIC Fund, quant à lui, investira aux côtés d’investisseurs privés dans des entreprises deep tech. Le but est de créer une chaîne de financement fluide, de l’amorçage à la série C+, pour éviter des trous d’air financiers qui conduisent aujourd’hui de nombreuses startups à quitter l’Europe.
Harmonisation du cadre du crowdfunding
Au cours de 2025, une nouvelle régulation européenne simplifiera les conditions de fonctionnement des plateformes de financement participatif. Grâce à ce cadre unique, une plateforme basée dans un État membre pourra proposer des campagnes de crowdfunding dans l’ensemble de l’UE sans devoir se conformer à plusieurs régulations nationales. Les startups bénéficieront ainsi d’une visibilité accrue et d’une base d’investisseurs potentiels plus large.
Suivi avec l’enquête annuelle et le « Startup and Scaleup Scoreboard »
Pour mesurer l’efficacité de ces dispositifs financiers, la Commission réalisera dès 2026 une enquête annuelle auprès des fondateurs et des investisseurs. Les indicateurs collectés (montants levés, nombre de tours de table, évolution du nombre de licornes) seront publiés dans un tableau de bord, le « Startup and Scaleup Scoreboard ». Cet outil permettra d’identifier les secteurs où les financements manquent encore, d’ajuster les mécanismes d’intervention et de rendre les résultats accessibles aux décideurs politiques, aux entrepreneurs et aux investisseurs.
3. Adoption rapide et expansion sur le marché
L’un des défis les plus délicats pour les jeunes entreprises est de passer de la phase de prototypage à la commercialisation. La Commission entend accélérer cette transition en offrant un meilleur accès aux infrastructures de recherche et aux opportunités de marché.
Initiative « Lab to Unicorn » et création de hubs européens
Dès 2025, l’initiative « Lab to Unicorn » visera à intensifier la collaboration entre universités, centres de recherche et entreprises. Concrètement, plusieurs « Startup and Scaleup Hubs » seront mis en place dans différentes régions d’Europe, regroupant laboratoires, incubateurs et espaces de prototypage. Ces hubs serviront de passerelles pour convertir des résultats de la recherche académique en produits commercialisables, tout en facilitant le jumelage avec des investisseurs et des mentors spécialisés.
Charte d’accès aux infrastructures de recherche (Charter of Access)
Toujours à partir de 2025, la Commission instaurera la « Charter of Access », qui standardisera les conditions d’accès aux infrastructures de recherche existantes (laboratoires publics, centres de calcul, plateformes pilotes). Les startups bénéficieront d’un accès prioritaire et à coût réduit pour valider leurs prototypes dans des environnements réels. Cela inclut, par exemple, l’accès à des centres de recherche en biotechnologie, à des plateformes de test pour la mobilité propre ou à des fermes d’infrastructure informatique pour des projets d’intelligence artificielle.
Simplification de l’accès aux marchés publics
En 2026, de nouvelles directives inciteront les administrations publiques à réserver une part de leurs appels d’offres aux startups innovantes. L’idée est de transformer certaines commandes publiques en premiers contrats de référence pour les jeunes pousses, leur ouvrant ainsi la porte à d’autres marchés. Les secteurs visés initialement sont ceux où l’innovation peut créer de la valeur sociale ou environnementale : numérique, santé, énergie et smart cities.
Harmonisation des règles de propriété intellectuelle
Dès 2025, un modèle européen commun de licences de brevets et de modalités de participation au capital sera élaboré pour les spin-offs universitaires. Jusqu’à présent, chaque État membre a ses propres règles : certains favorisent la cession des droits aux chercheurs, d’autres privilégient une participation institutionnelle. Un cadre homogène permettra de clarifier les conditions d’accès aux brevets et aux technologies issues de la recherche, tout en sécurisant les investisseurs grâce à une répartition transparente des droits.
4. Soutien aux talents
Attirer, former et fidéliser les entrepreneurs et les experts technologiques sont des enjeux clés. La stratégie décline plusieurs mesures à partir de 2025–2026 pour renforcer l’écosystème humain de l’innovation européenne.
Blue Carpet Initiative : conditions fiscales et d’immigration
La « Blue Carpet Initiative », lancée en 2025, vise à rendre l’Europe plus attractive pour les talents, nationaux comme internationaux. Sur le plan fiscal, les stock options seront traitées de manière plus avantageuse, avec une imposition différée voire réduite dans certains pays membres. Sur le plan de l’immigration, des procédures de visa accélérées seront mises en place, afin que les fondateurs non-européens puissent obtenir un permis de travail en quelques semaines seulement. L’ensemble de ces démarches sera géré via le Business Wallet, garantissant une expérience transparente et rapide.
Harmonisation des procédures de visa et carte de séjour entrepreneur
Au cours de 2026, la Commission publiera une directive visant à uniformiser les critères d’obtention de visas pour les profils tech et les entrepreneurs. Une « carte de séjour entrepreneur » européenne permettra à un porteur de projet issu d’un pays tiers de circuler plus librement au sein de l’UE pendant la phase de création et de développement de son entreprise. Cette carte sera associée à des services d’accompagnement (conseils juridiques, mise en relation avec des incubateurs) pour faciliter l’installation et la croissance.
Programmes de mentorat et formation universitaire
Depuis 2025, la Commission encourage les partenariats entre grandes entreprises et startups pour instaurer des programmes de mentorat. Ces programmes associeront des cadres expérimentés à des entrepreneurs débutants pour partager des bonnes pratiques en matière de développement produit, de levée de fonds ou de stratégie commerciale. Parallèlement, les établissements d’enseignement supérieur seront incités à renforcer leurs cursus en entrepreneuriat, en introduisant davantage de modules sur la gestion de l’innovation, la propriété intellectuelle et l’accès aux financements. Des universités-partenaires pourront proposer des parcours dédiés aux futures licornes, intégrant des stages en startup ainsi que des projets de thèse industrielle.
5. Accès aux infrastructures, réseaux et services
Pour que les startups aient toutes les cartes en main, la Commission met en place un environnement technique et opérationnel robuste. Plusieurs projets devront être déployés entre 2025 et 2027.
European Open Science Cloud (EOSC) : accélérer la recherche collaborative
Le projet European Open Science Cloud (EOSC) existait déjà, mais il sera consolidé et enrichi pour offrir un accès optimal aux données et aux infrastructures de calcul. Les startups deep tech, notamment dans l’intelligence artificielle, les biotechnologies et les sciences des matériaux, pourront accéder à des ensembles de données, à des simulations et à des plateformes de calcul intensif. Cela réduira les coûts initiaux et permettra une accélération des phases de R&D grâce à la mutualisation des ressources.
Investissements dans les réseaux numériques pan-européens
Entre 2025 et 2027, l’UE prévoit d’accélérer le déploiement de la 5G, d’étendre la connectivité haut débit et de renforcer l’écosystème cybersécurité. L’objectif est de garantir une couverture homogène et performante sur l’ensemble du territoire, afin que même les startups rurales ou des régions moins développées puissent bénéficier d’une infrastructure numérique de pointe. Ces investissements faciliteront la mise en place de services cloud, de solutions IoT et d’applications nécessitant des débits importants ou une latence très faible.
One-Stop Shop : guichet unique pour l’accompagnement
Au quatrième trimestre 2025, la Commission lancera un portail unique accessible via le European Business Wallet. Ce « One-Stop Shop » regroupera l’ensemble des services d’accompagnement : informations sur les appels à projets européens, contacts des incubateurs certifiés, listes de mentors, opportunités de mise en réseau et conseils juridiques standardisés. Les entrepreneurs n’auront plus besoin de rechercher séparément chaque dispositif ; toutes les ressources seront centralisées, mises à jour en temps réel et accessibles dans leur langue.
Plateformes de mise en relation et événements européens
Enfin, dès 2025, plusieurs événements majeurs seront renforcés ou créés pour favoriser la rencontre entre startups, investisseurs, chercheurs et décideurs publics. Par exemple, le European Unicorn Forum deviendra une conférence annuelle de référence, réunissant les licornes européennes, les futurs prétendants et les investisseurs internationaux. De même, le European Innovation Council Forum se concentrera davantage sur les synergies entre startups deep tech et laboratoires de recherche, afin de renforcer le transfert de technologie. Ces plateformes offriront un cadre pour tisser des liens, partager des retours d’expérience et identifier des collaborations transfrontalières.
Conclusion
La stratégie « Choose Europe to Start and Scale 2026 » marque un tournant dans la volonté de l’Union européenne de renforcer son écosystème d’innovation. Les initiatives présentées — qu’il s’agisse du « 28th Regime », du Business Wallet, du Scale-up Europe Fund ou des hubs « Lab to Unicorn » — vont dans le bon sens. Elles démontrent une prise de conscience de la Commission quant aux faiblesses actuelles : la fragmentation réglementaire, le manque de capitaux en phase de croissance et les difficultés d’accès aux infrastructures.
Pour autant, ces annonces resteront lettre morte si elles ne sont pas effectivement mises en œuvre de manière cohérente et rapide dans chacun des États membres. L’expérience montre que la coordination entre Bruxelles et les administrations nationales peut prendre du temps, et que les freins locaux (techniques, politiques ou culturels) ne disparaissent pas du jour au lendemain. Les mécanismes de suivi, comme le « Startup and Scaleup Scoreboard » et l’enquête annuelle, seront cruciaux pour mesurer l’impact réel de ces mesures et pour ajuster la feuille de route en fonction des retours du terrain.
En attendant, les acteurs de l’innovation — entrepreneurs, investisseurs et chercheurs — peuvent déjà se préparer : suivre la publication des premiers détails opérationnels, identifier les appels à projets européens, nouer des partenariats avec des hubs et des académies, et anticiper les nouvelles règles fiscales et administratives. Si tous jouent le jeu et collaborent au niveau local comme européen, il est raisonnable d’espérer qu’à l’horizon 2027, l’Europe aura réussi à réduire significativement l’écart avec ses concurrents et à retenir une partie plus importante de ses talents et de ses licornes. C’est dans cette perspective que chacun devra rester vigilant, réactif et prêt à saisir les opportunités offertes par une stratégie en cours de déploiement.